Comment avons-nous pu oublier Fred Exley ?

Sa passion pour le football, ses échecs, sa folie pour l’alcool et pas seulement : Fred Exley est l’anti Gatsby que nous sommes tous au fond. Et nous l’avons laissé de côté par peur de voir nos propres démons ressurgir. 

 Avec Le Dernier Stade de la Soif, Exley nous présente le négatif de l’American Dream, se faisant photographe d’une Amérique que personne ne veut voir et qui existe pourtant bel et bien.           

Ce livre est un chef-d’œuvre mélangeant le road book, le fan’s book (le titre original étant A Fan’s Notes), mais qui suit également la grande tradition des livres réflexifs sur l’Amérique de leur narrateur, de Fitzgerald à Kerouac en passant par Hemingway. Laisser tomber Exley dans l’oubli c’était commettre un délit culturel qui se devait d’être réparé et qui le fut grâce au superbe travail des éditions Toussaint Louverture. Car Exley nous montre la vie telle qu’elle est, sans les omissions dont se rendent souvent coupables les auteurs : sale, cruelle, triste. 

 L’histoire d’Exley, c’est la narration des errances alcooliques et maladives de son double dans l’Amérique des années 1950-1960. C’est le récit de toutes ses (maigres) réussites et surtout de ses (cuisantes) défaites qui l’ont transformé en homme révolté par son propre pays. 

Citons cette scène dans laquelle le narrateur de cette fiction-biographie (ou plutôt biographie-fiction ?) invective un inconnu dans la rue en traitant de « suceur de nègre ».  Exley ne le fait pas part racisme, mais seulement pour trouver un dernier combat, qui serait une fin en soit. Tout comme son idole Frank Gifford cherchera dans son dernier match le couronnement d’une carrière pleine de succès, pendant glorieux de la piteuse vie d’Exley, son ancien camarade de fac.  

Peut-être que le Dernier stade de la soif infinie d’Exley est le Yankee Stadium qui accueille les matches de ses héros des Giants. Mais c’est plus surement le stade ultime au moment duquel le visage reflété par l’alcool contenu dans le verre, on regarde ce qu’on a laissé derrière soi et qu’on fait le compte de tout ce qui aurait pu être et n’a pas été. 

Je tiens à remercier Lucie pour m’avoir rappelé l’existence de ce livre que j’aurais moi-même oublié si elle ne me l’avait jeté en pleine face une froide nuit de janvier. 

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